Je me réveille en ce dernier samedi au pays du « matin frais », avec la certitude que la Corée du Sud est le parfait produit de la tradition et de la modernité. Un simple tronçon de route dans la KIA électrique de mon ami me projette dans un film de George Lucas. Une musique extérieure émane du véhicule qui recule, une sorte de mélodie sifflante tout droit sortie de films de science-fiction. Il peut parcourir plus de cinq cents kilomètres avec une seule charge de trente minutes. Vous n'avez pas besoin d'autant d'autonomie pour rejoindre le village de Bukchon Hanok. Vieilles de plus de six cents ans, ces belles petites maisons s'entassent au sommet d'une des innombrables collines, en plein centre de Séoul. Grâce à l'absence totale de touristes, je suis le seul à déambuler dans les ruelles étroites, applaudi par les toits pointus et les lourdes portes massives qui protègent leurs habitants des curieux.
Bien aligné et en phase avec mon environnement immédiat, j'ai confiance et continue de marcher sans but. Juste flirter avec cette ville masquée. Je prévois de prendre des photos de Séoul sous la neige. Alors que le ciel est d'un beau bleu profond, je rêve de gris et de flocons de neige. Je sens son odeur, je sens sa présence. La lumière scintille et s'estompe mais je sens déjà les flocons caresser mon visage, entrer dans mes yeux pour me faire pleurer, de joie. J'entends le craquement de la neige sous mes pieds. Mais pour l'instant le ciel est désespérément bleu. Je propose de m'arrêter au Musée d'Art Moderne. Je n'ai pas dû mettre assez d'énergie dans cette intention car j'ai eu un magnifique refus. Le pass sanitaire coréen est obligatoire. Rien d'autre. Ce sera pour une autre fois. Comme l'a dit Héraclite, « la culture de l'esprit est un autre soleil pour les gens instruits ».
Le soleil était toujours là, brillant dans un ciel nu. Je décide de remonter un peu plus dans le temps en me rendant au Palais du « Bonheur resplendissant ». Dont l'histoire est passionnante mais c'est surtout le sentiment de plénitude qui m'a le premier transpercé. Ce palais, Gyeongbokgung, n'a pas été épargné par les invasions japonaises qui ont jugé bon de détruire tous les palais de Séoul. Ces bâtiments ont été reconstruits au début du XXe siècle, mais le lieu, le terrain, a su effacer et réparer les horreurs du passé.
Cette petite montagne à gauche de l'entrée du Palais m'a captivé et attirera mon attention tout au long de la longue visite des plus de quarante mille mètres carrés du site. Toujours aligné, acceptant l'absence de neige, je les sentais encore sur moi. C'est la répétition qui renforce l'intention, sans s'y accrocher, en acceptant de ne pas recevoir en étant certain d'être entendu. C'est la subtilité de l'intention.
Mes amis les gardes sont toujours là, à surveiller le passé. Poursuivre la tradition encore bien ancrée comme un folklore assumé. Beaucoup de jeunes louent des costumes d'époque et viennent se photographier dans le palais, ou sont-ils à la recherche du prince charmant ? Je me faufile entre les mailles des édifices royaux à la recherche d'un lieu de paix pour méditer. Je le sens très proche. Le corps agit comme un radar et se met à vibrer. Le temps n'existe plus vraiment, c'est le plaisir de marcher seul. Pas d'horaire, pas de contraintes, il suffit de ressentir et de capturer les regards envieux des nombreux photographes en repérant le point rouge.
Mon cœur a pensé s'arrêter lorsque j'ai atteint l'un des jardins où un bâtiment majestueux est encré au milieu d'un étang gelé. La montagne fière et protectrice m'interpelle de toutes ses forces. Je pose mes fesses sur le banc glacé mais les yeux fermés, l'incroyable se produit. En quelques secondes, le ciel se masque, uni aux humains qui tentent de se protéger de l'infiniment petit. Le vent se lève et je le sens sur mes joues. La goutte, le flocon. Il commence à neiger, comme je l'avais désiré. Des grappes de cotons descendent silencieusement devant nos yeux émerveillés. Contrairement à l'agitation des visiteurs en costumes, je reste un instant à remercier. N'oubliez jamais de remercier. Lorsque j'ai ouvert les yeux, l'image imaginée était là. Prêt à être cueilli.
Simplement, sans effort, il suffit d'être patient, et d'être reconnaissant envers la Nature devant une telle beauté. Je contemple cette merveilleuse vue propice à la méditation, l'équilibre est Roi et la Paix sa reine. Je suis poussé vers la sortie par une envie de contempler le tumulte de la ville étouffé par la poudre blanche qui s'accumule au sol. La magie ne s'arrête pas là et juste avant de quitter le Palais, deux jeunes filles prennent des "selfies" en tenues "traditionnelles". Leur excitation est proportionnelle à la taille des énormes flocons.
A peine renvoyé dans l'arène de la ville, rythmée par les klaxons des gens pressés, que j'avance dans un tumulte inhabituel. Un homme semble interpeller la foule avec son micro et une bonne « sono ». En m'approchant, j'ai été étonné de voir une femme, au milieu de la foule sans masque ! C'est une scène surréaliste. Elle ose se tenir là, seule, sans masque, au milieu d'une foule de policiers qui tentaient de fluidifier la circulation piétonne.
J'ai continué mon exploration urbaine parmi ces apprentis "gilets jaunes" pour me retrouver sur un carrefour intéressant alors que la tempête frappait la ville. Je ne connais toujours pas les raisons de ces protestations, mais une source proche du dossier m'a dit que beaucoup de ces rebelles étaient en fait payés pour être là et protester !
La neige a continué à tomber, donnant à Séoul un air de New York. Un peu plus et je me prenais pour Saul Leiter ! Le fier guerrier affronta les éléments. Toutes les villes sont belles sous la neige. Tout est beau sous la neige. Son dessin immaculé, la perfection mathématique de sa structure distillent des airs d'absolu.
Les habitants marchent plus lentement, pour ne pas glisser, et s'arrêtent pour se prendre en photo tandis que, comme tous les enfants du monde, roulent des boules de neige pour faire des bonhommes ou se les écrasent sur la tête.
Les mains engourdies par le métal de mon Leica, je cherche un café local, où je peux trouver du bon thé et une pâtisserie. J'entre dans un Starbucks. Les fauteuils douillets, l'ambiance feutrée, la chaleur et le Wi-Fi gratuit ont eu raison de ma quête. Devant l'impossibilité de trouver un taxi coopératif, j'ai une envie irrépressible de regagner mon hôtel après plus de dix-sept kilomètres de marche. Alors que le jour décline pour tirer sa révérence, je suis cette dame qui manque à plusieurs reprises de glisser. L'atmosphère est telle que je ne peux m'empêcher de capturer cet instant contenant l'Univers tout entier. Les chasseurs du « Four Season » m'aident à commander le taxi liberateur. T
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