Je repris soudain mon souffle comme après une apnée prolongée.
Je ne sais pas du tout où je suis ni quand je suis. Plongé dans un noir absolu, un silence total, je me demande « suis-je mort? ». Mais le cocon douillet de la couette, et surtout la faim qui me cisaille le ventre me font pencher vers la vie. Il fallut quelques secondes pour reprendre mes esprits. La montre qui ne quitte plus mon poignet m’indique qu’il est 2H30 du matin. Elle se met à jour toute seule, elle. En un bond je me retrouve collé à la vitre glaciale de la chambre d’hôtel qui va me servir de cellule pour les dix prochains jours.
D’abord de la musique, je dois rompre ce silence. Une Nocturne de Chopin ira très bien. L’ Opus 15 , c’est d’ailleurs ce que j’écoutais en sortant de l’avion il y a neuf heures. Apres une première vérification sommaire de nos nombreux papiers, nous nous agglutinions dans une immense file indienne. En silence. Des regards inquiets croisaient des yeux rougis et fatigués. Certainement des sourires inutiles s’échangeaient derrière les masques. Nous ne le saurons jamais. Le mouvement s’accéléra mais lorsque je fus devant eux, je compris.
Impossible de rebrousser chemin, l’Avion ne voudrait plus de moi, ni de personne. Fuir serait vain. La seule solution, faire face et passer chaque épreuve l’une après l’autre. Pour ceux qui ont vu « Squid Game », nul besoin de décrire davantage. Ils comprendront tout de suite. Pour les autres, je faisait face à des gardiens, en combinaisons blanches, masqués, cagoûlés, deshumanisés, dont même la voix était retransmise via un haut parleur attaché sur leurs flancs. Ils ne leurs manque qu’un triangle ou un rond sur le casque. Mais une certitude. Je suis dans le Jeux.
Chaque barrage est très spécialisé. Vérification classique du passeport, puis de la vaccination, puis du test PCR. Le meilleur moment reste l’installation de l’application de suivi qui brave toutes notions RGPD ou de liberté de base. J’aimerais bien voir la réaction de nos grands chevaliers jaunes, fervents défenseurs des libertés, en face de ce robot humanoïde, véritable détenteur de l’autorité, qui manipule VOTRE téléphone! Ils installent, entre-autre, une application qui va servir, pendant la quarantaine, à envoyer deux fois par jour, vos paramètres physiques et votre rapport de santé. À cet instant, tout a basculé. Sur mon flanc droit, un quinquagénaire américain viens de se voir refuser l’accès du pays car la date de naissance sur l'un des papiers, ne correspondait pas au Passeport. Il fût mis à l’isolement jusqu’au prochain vol retour. Les candidats tombent, les uns après les autres, puis sont triés, rangés, jusqu’à ma première satisfaction de la journée ! Après m’avoir scanné les indexes, les portes s’ouvrent enfin, et j'aperçois mon bagage tournant presque tout seul sur le tapis des vainqueurs. Encore un énième contrôle, je ne compte plus, lâchant prise, je me laisse porter par le flux sortant. À ce moment nous sommes triés, encore, à l’aide de codes ésotériques que nous ne maîtrisons pas. Voilà plus de trois heures que nous évoluons au gré des épreuves et je sens que nous sommes proches de la sortie. Je sens l’air frais me caresser le visage. Nous voilà escortés par la police dans un bus, ne sachant toujours pas où auront lieux nos dix jours de quarantaine. Je n'en crois pas mes oreilles!
"You'r next destination is Grand Hyatt Hotel" ! Je suis alors rempli de gratitude et soulagé à l'idée de ne pas être parqué dans un baraquement de l'armée comme certains ont put le vivre.
"Allez, encore un petit effort et je serai bien installé dans ma chambre." Je salivais à l'idée de commander au room-service une salade Caesar, des nems ou l'un des plats disponibles à tout heure du jour et de la nuit. Après une petite demi-heure de route, nous apercevons le Graal, imposant. Mais nous évitons l'entrée principale, certainement réservée aux clients "normaux". Un doute s'installe lorsque nous devons descendre, un par un, dans un froid glacial vers deux humanoïdes munis de tiges et d'éprouvettes. La délivrance est proche. Un dernier double curage nez-gorge. Les deux. Nous sommes finalement autorisés à entrer dans une aile abandonnée de ce bel hôtel où des tables sont installées comme à l'école. D'autres Humanoïdes à la voix amplifiée nous expliquent, non sans humour, que nous sommes les heureux élus. Nous n'avons plus qu'à comprendre les nombreuses contraintes de ces dix jours d'enfermement, à payer la note d'environ mille euros et saisir un sac en plastique comprenant le diner du soir.
C'est à ce moment là, qu'épuisé, je me laissais glisser dans le comas. Demain il fera jour, un autre jour, beaucoup de jours pour penser, ressentir, écrire et bien sûr travailler. T
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